SALA (songeur) : Non, pas d'hiver comme ceux d'ici. (Un temps.) Et toi ?
JOHANNA : Moi ?
SALA : Quand je serai parti, que feras-tu ?
JOHANNA : Quand tu seras parti ? (Elle l'observe. Il regarde au loin.) N'as-tu déjà pas été loin de moi longtemps ? En ce moment même, ne l'es-tu pas - loin de moi ?
SALA : Que dis-tu ? Je suis là, près de toi... Que vas tu faire, Johanna ?
JOHANNA : Je te l'ai déjà dit : partir - comme toi. (Sala secoue la tête.) Dès que possible. Avant que le courage ne me manque. Si je restais ici, que deviendrais-je ?
SALA : Devant la jeunesse, toutes les portes sont grandes ouvertes et chacune ouvre sur le monde.
JOHANNA : Le monde ? Le ciel infini ? Il faut ne plus tenir à personne pour les atteindre. Voilà pourquoi je veux partir.
SALA : Partir - c'est vite dit. Mais il faut se préparer, et il faut tout de même l'ombre d'un projet. Toi, tu répètes le mot, comme s'il ne te manquait que les ailes pour t'envoler.
JOHANNA : La volonté, cela suffit pour s'envoler.
SALA : Tu n'as pas peur, Johanna ?
JOHANNA : Le désir sans la peur ? Ce serait un drôle de désir, indigne.
SALA : Ce désir, où te mènera-t-il ?
JOHANNA : Rassure-toi, je trouverai mon chemin.
Le chemin solitaire - Arthur Schnitzler
(extrait de l'acte IV scène 1)