Librairie Kléber, Strasbourg
Mardi 14 octobre
Conversation avec Amélie Nothomb
"Nous sommes-nous déjà croisées, Clara ?" ... Non vous ne m'avez jamais vu, mais moi, je vous ai croisé des centaines de fois, au détour d'une page, entre deux lignes, à travers l'un de de vos personnages si singuliers...
Je l'ai regardé, longtemps, aussi longemps que possible. Nos regards se sont croisés, j'espère qu'elle a réussi à lire dans mes yeux tous ces "merci" et toute cette estime que je lui porte. Cette rencontre m'a bouleversée. Je ne m'attendais pas à la voir si. Pfiou. Vous savez, dès qu'elle ouvrait la bouche, les gens riaient. Oui, parce qu'une nénette qui écrit des bouquins si loufoques ne peut qu'être quelqu'un de drôle, n'est-ce pas ? Suis-je donc la seule à sentir cette incroyable tristesse qui se dégage d'elle ? J'ai trouvé ça horrible, qu'elle ne soit pas prise au sérieux par tous ces gens. Elle ouvrait la bouche et PAF, éclats de rires qui fusent. La liberté a-t'elle répondu. C'est la liberté. Elle parlait de sujets graves pourtant. L'usurpation d'identité, écrire pour vivre, vivre pour écrire. Se gaver de lectures, pour progresser, encore et toujours. Ce besoin devenu vital pour elle. Ces dizaines de romans par an dont un seul est montré au public. Cette passion, à la frontière de la folie. J'ai trouvé ça si beau, mais si triste dans le fond. Digne d'une très grande écrivain en fait.
Je trouve parfois ses romans inégaux. J'ai beaucoup aimé "Mercure", le premier que j'ai lu d'elle, et puis aussi "Ni d'Eve ni d'Adam". "Stupeur et tremblements" est assez hallucinant. Quant à "Métaphysique des Tubes", il est plutôt incroyable. Peut-être "Journal d'Hirondelle" m'a-t-il déçue. Je m'attendais à mieux, je crois avoir été frustrée. "Robert des Noms Propres" est particulier.
C'est tout ce que j'ai lu d'elle, mais cette femme est incroyable. Elle ne peut pas qu'être joyeuse, et drôle, pour écrire de telles choses. Il faut forcément un peu d'autre chose. De la tristesse, comme tu l'écris. Et de la passion...
Tu as de la chance de l'avoir rencontrée. J'aurais à peine osé lui parler. Et je lui aurais dit des banalités. Je suis sûre que toi, tu as fait mieux.
Je t'embrasse très fort.